LE NEGRE BLANC (La légende de Robert Johnson)

Publié le par Les Nouvelles de Bigorre

Robert avait attendu que la chaleur soit moins forte pour reprendre sa marche. Il y avait peu  d'abri dans cette partie du pays et le jeune noir avait profité de l'ombre d'un arbre famélique jusqu'à ce que s'installe la fraîcheur du soir.

 Des deux cotés de la route s'étendaient des champs de coton infectés par une étrange maladie qui  poussait bon nombre de ramasseurs à remonter vers le Nord. Tous fuyaient une terre qui portait un autre mal, la ségrégation, et marchaient afin de tenter leur chance dans les nouvelles industries de Chicago ou de Détroit.

Lorsque Robert arriva au carrefour, le soleil n'avait pas encore quitté la ligne d'horizon. Il fallait se hâter, le prochain village était encore loin, il y trouverait sûrement une vieille grange et un bout de pain pour passer la nuit.

Soudain il vit apparaître  une ombre qui inondait la route, l'immense spectre d'une silhouette d’homme portant un grand chapeau. Il se retourna et se trouva face à un un blanc qui mesurait le double de sa taille et dont les mains auraient pu d'un seul coup arracher une parcelle entière de coton. Robert   balaya du regard les proches alentours, d’où avait pu surgir cet homme terrifiant qui se tenait devant lui, les poignets sur les hanches et qui  affichait un sourire inquiétant.

« Dis donc petit, ou vas tu comme cela ? »

La voix de cette apparition était sèche et tendue comme une corde de pendu. Robert sentit son corps se glacer lorsqu’il entendit ce son de mort.

« N'aie crainte petit, je ne suis pas un de ces idiots du Ku Klux Klan ; je peux, si je le souhaite, être noir comme toi !  ou blanc, ou noir ».  A mesure que l'homme déclinait les couleurs, sa peau changeait, noir, blanc, ses cheveux devenaient crépus puis d'un coup les longues mèches blondes reparaissaient.

« Tu vois petit, noir, blanc, quelle importance ? »

Robert n'en croyait pas ses yeux, la peur le rendait muet.

L'homme reprit :

« Tu sais ce qui me ferait plaisir, c'est que tu détaches cet instrument que tu portes sur le dos et que tu me joues un bon vieil air du Sud ».

Robert s’exécuta et, maladroitement, gratta quelques accords. Au bout de quelques secondes le visage de l'inconnu s'emplit de fureur comme si les flammes de l'enfer jaillissaient dans ses yeux rouges.

« Arrête, arrête ce crin crin abominable hurla-t-il ! Tu ne sais donc pas jouer, donne moi ta guitare !».

Il posa son chapeau et de ses grandes mains tourna les mécaniques afin d'accorder l'instrument.

 

« On va faire un marché tous les deux, ton âme ne doit pas valoir grand chose, une âme noire n'a que peu de valeur tu en conviens, mais je suis bon prince et je veux bien t'en débarrasser. En échange, je vais t'offrir un peu de talent, tu en as bien besoin, mes oreilles  grincent encore de tes pauvres accords ! »

Il sortit d'une de ses poches un papier qu'il déplia et tendit avec un crayon à Robert.

« Signe au bas de ce contrat, ton premier contrat ! » dit-il en ricanant.

Robert Johnson signa sans lire trop pressé d'en finir avec ce personnage.  A vrai dire, il aurait signé n'importe quoi, la peur le tenait en joue ; l'homme blanc rangea le papier et rendit la guitare. Lorsque Robert Johnson toucha le manche de celle ci il lui semblait que le bois était devenu vivant, que les cordes pelées et dissonantes avaient maintenant  un son rond et élégant, que ses doigts étaient devenus plus agiles et qu'ils parcouraient le manche avec une virtuosité inconnue. Il leva la tête pour remercier son bienfaiteur, mais il n'y avait plus personne face à lui, il n'y avait plus que lui et sa guitare à ce carrefour.

 

 

Pierre Domengès

Eleveur de pingouin

LE NEGRE BLANC (La légende de Robert Johnson)

Robert Johnson est né le 8 mai 1911 dans le Mississippi (USA). Il est considéré comme l’un des plus grands interprètes de blues de tous les temps.

 

Ses succès ont inspiré de nombreux et prestigieux musiciens du 20ème siècle : Muddy Waters, Eric Clapton, Bob Dylan, Led Zeppelin ou encore les Rolling Stones, pour ne citer qu’eux.

Mais s’il est entré dans la légende, ça n’est pas seulement pour ses talents musicaux.

La mythologie autour de Robert Johnson vient d’une histoire voulant qu’il ait acquis sa virtuosité après avoir passé un pacte… avec le Diable en personne.

Publié dans Humeur

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