L'été c'est pas pour les pingouins

Publié le par Les Nouvelles de Bigorre

L'été c'est pas pour les pingouins

Je ne parle pas de cette saison de Toscane, des villages qui s'installent dans l'été comme une jeune bouche s'installe dans un fruit chaud et sucré. Je ne parle pas non plus de ces champs de cigales et d'oliviers qui tanguent incandescents au soleil d'Andalousie, pas même de ces peuples de la nuit qui sortent aux premières fraîcheurs manger le melon et la tomate. Ces êtres qui parlent doucement sur les terrasses arborées pour ne pas déranger le soir qui vient et sa liesse apaisante.

Ce que je vois autour de moi dans cette ville qui peu à peu se vide et dont les veines n'ont su prendre les couleurs de l'été, ce sont les exclus, les naufragés des saisons. Le jeune aveugle qui sur un banc attend le bus, le vieux qui se presse avec son reste de force à fermer ses volets pour garder le frais du matin, le boulanger qui tire son rideau et pose sa pancarte « à vendre », la vieille pute d'en bas de chez moi, pour cette année autorisée à ne pas rejoindre ses quartiers d'été dans les grandes villes près des gares sur le trajet de quelques touristes avinés. Elle est bien trop vieille pour concurrencer la nouvelle main d’œuvre de l'Est. Elle travaillera chez elle, les jours de marché pour un poulet, une douzaine d’œufs et un sac de légumes, sous le regard d'opale de sa perruche qui a vu défiler plus d'hommes que de palmiers amazones. Plus de fellations, de résignation, d'humiliation que d'horizons.

Ceux là sont enracinés, prisonniers, entravés dans ce juillet au soleil de curare, dans ce mercure qui rend les trottoirs plus tristes, les lézardes plus franches, les peines plus visibles.

Le périphérique s'engorge de voitures impassibles au regard des bêtes en sursis égarées et condamnées à les regarder filer vers la mer. Les migrations de gnous ont commencé, elles portent des milliers d’êtres vivants vers les grandes eaux, les grandes embouchures. Et lorsque tous seront rentrés et que les rues redeviendront concernées par leurs passages incessants, lorsqu’après avoir gagné un peu de temps sur l'automne à se raconter les barbecues, à s'échanger les photos de plages, à comparer les éphémères bronzages et se dire qu'on à bien fait d'en avoir profité, alors combien de ceux qui sont restés seront encore là ?

 

Pierre DOMENGES

Eleveur de Pingouins

Publié dans Humeur

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